L'Afghanistan est le terrain de jeu favori de la folie des hommes. J'y vais depuis 1979. En trente ans j’y ai croisé des russes, des procommunistes, des seigneurs de guerre, des talibans et des armées occidentales. Depuis l'intervention internationale qui a suivi les attaques du 11 septembre 2001, difficile d'y couvrir les événements sans être pris en charge (embedded) par une des armées présentes.
En 2008 je passe une semaine avec le 8e régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMa) sur la base avancée de Nijrab dans la vallée de la Kapissa. Chaque jour je sors du camp retranché dans une colonne de blindés pour rouler vers les villages des vallées reculées de Tagab, Alasay ou Sediqkhel.
Mes relations avec les officiers sont bonnes jusqu'au jour où deux suspects sont appréhendés lors d'une patrouille dans le village de Sediqkhel. L’un porte une kalachnikov armée et l'autre du matériel de propagande pro talibans. Quand j'arrive sur place, les deux hommes sont tenus en joue, agenouillés sur le sol les yeux bandés. L'officier me rappelle qu'il est interdit de photographier des prisonniers. Au début je prends quelques photos discrètement au jugé puis je décide de désobéir.
De retour à la base mon attitude déclenche un tollé dans la hiérarchie. Je décide de jouer franc jeu avec le colonel commandant le détachement. Je lui montre les photos et lui explique que les hommes appréhendés n'étant pas identifiables, rien dans les conventions internationales m'interdit de diffuser ces images qui montrent simplement la réalité du travail des troupes françaises sur le terrain. Le colonel s’accroche à la convention de Genève puis il avance que si mes photos paraissent cela pourrait avoir un impact négatif dans nos “banlieues“ (sic).
Les photos seront publiées dans le Figaro Magazine. J’ai appris par la suite que l’officier de presse qui m'accompagnait ce jour-là avait été renvoyé en France pour ne pas avoir pu m'empêcher de faire ces images !